Il est loin le sentier qui mène à l’estive ! 600 kilomètres et une nuit plutôt courte (deux heures), l’absence de petit déjeuner ne permettent pas d’aborder la montée vers le Grand Roc en toute quiétude. Mathieu Erny m’a donné rendez-vous au petit village de l’Ecole non loin de la Réserve National des Bauges. Nous quittons les lieux en convoi vers un parking distant de quelques kilomètres, en suivant le Chéran.
Au-delà, il faut une autorisation pour circuler. Le Range est rapidement chargé, je fais connaissance avec Gina, berger des pyrénées. Savane patiente à l’ombre des sapins, l’âne est équipé d’un bât qui toutefois, ne permettra pas de nous dispenser le portage du matériel et des provisions indispensables. Ainsi l’homme et les bêtes sont souvent sur un pied d’égalité en montagne, même si le patron reste toujours le pâtre. Le 4x4, indispensable, avale tour à tour une route forestière de plus en plus défoncée, une voie pierreuse a flanc de falaise puis un chemin de terre, jusqu’à un poste de déchargement possible.
Le dénivelé représente 700 mètres. Au départ en pente douce ou il faut traverser le Chéran, presque à sec, le sens de la pesanteur s’affirme rapidement sur les épaules chargées de deux sacs à dos. Le chargement de savane est légèrement déséquilibré afin de l’aider à franchir un passage, à flanc de pente, d’une raideur extrême. Même pour l’équidé ! Le moindre faux pas se paye comptant. L’animal roule sur la pente à 35% jusqu’au trépas. Mais Savane a le pied sûr et son chargement est somme toute modeste.
Les nouvelles ne sont pas toujours bonnes, cette nuit un nouvel agneau s’est étranglé dans les filets à mouton. La viande nourrira Croc, le Patou qui patiente encore, à cette heure, au milieu du troupeau. Il y a un mois déjà, un des chiens de conduite, pourtant expérimenté, à basculer dans le vide en pistant sur une forte pente. Le danger est certain en estive. Les écarts de conduite sont parfois définitifs.
Savane rechigne à la tâche, après avoir bu au Chéran, il broute nonchalamment malgré nos encouragements. Mathieu guide de la longe, je pousse et encourage de la voix. Le Mont blanc apparaît au détour de l’estive réservé aux bœufs. Les bovins circulent à leur aise sans aucune contrainte.
Le sûr-pâturage voisine alors avec le sous-pâturage, les bêtes n’apprécient pas les aires pentues. Une première tête cornue apparaît au fil de la crête. Le son des premières sonnailles ovines se mêlent à celle de l’âne qui teinte à chaque pas de l’équin.
Cléo, bâtard mêlé de chien de Crau, de Labri et de Border musarde au chalet en attendant son maître. 14 ans de bons et loyaux services lui concèdent quelques privilèges ! Même si le chien de conduite ne laisse sa place à quiconque à la tâche. Savane accélère subitement le pas !
Brume, la mule nous accueille dès notre arrivée au chalet, les ânes nous observent sans bouger, un nouveau venu est toujours un événement sur l’estive. Tout le monde a soif, la première chose à faire est de leur servir l’eau indispensable à la vie, sous une chaleur et une lumière accablante.
Vers 19h00 au plus-tôt, il faudra encore monter sur la crête du Grand Roc afin de pousser lentement les brebis vers le parc de nuit. La « couchade » libre sera pour plus tard. Croc restera distant, m’observant de loin, sans même aboyer !
Ce chien est un solitaire ! La nuit tombe à notre retour découvrant pour la première fois les lumières d’Albertville, tout en bas. Cette première nuit sera rythmée par la musique des sonnailles et la course des souries, sous le toit, entre le zinc et la sous-pente de planches disjointe.
A suivre.
JLV